vendredi 27 novembre 2015

liseuse

& voyez comme c’est faute d’examiner ce qu’il a entre les mains que le lecteur sur tablette ne réalise pas que ce qu’il fait ainsi apparaître à volonté n’est qu’un spectre, un désincarné qui retournera à l’opacité de son infra-monde numérique sitôt désactivé ; que ce n’est pas en réalité comme on lui a vendu, la même chose seulement en plus pratique, avec davantage de facilité de disposition : cela ne le trouble pas que ses « livres » réapparaissent à l’écran toujours aussi neufs et intacts que s’il ne les avait pas lus, sans aucun souvenir de lui et de ce qu’il les ait lus, ni que leurs « pages » s’en effacent de son cerveau à mesure qu’elles s’y succèdent, et qu’ainsi rien ne s’en incorpore ; qu’elles n’ont pas cette existence matérielle qui permet à l’esprit d’entrer en contact avec les choses et de s’y déchiffrer ; et il ne lui vient pas à l’esprit que ce serait différent si les mots continuaient d’exister imprimés sur la page en papier après qu’il l’a tournée, et qu’il y soient encore des années plus tard quand on les y retrouve marqués d’un ticket d’autobus ; ni que ces volumes tous ensemble dans leur présence matérielle lui seraient une civilisation à domicile, que leur accumulation sur les rayonnages et finalement à se répandre un peu partout l’environnerait d’un micro-climat de pensées et d’imaginations, de significations possibles quant à sa destination dans le cours de cette vie, dans un monde qui serait plus durable que lui.

Baudouin de Bodinat
op. cit. (2015, p. 80)

vendredi 20 novembre 2015

B. de B.

& par enchaînement de pensées je me suis souvenu qu’à la fin du XXe siècle on estimait qu’un Américain moyen de 18 ans avait pu visionner à domicile environ 22 000 meurtres explicites (durant que 150 000 spots publicitaires criards lui auraient traversé le cortex) ; mais aujourd’hui que nous avons quitté cette époque de passivité consommatrice pour celle de l’autonomie participative, c’est tout différemment qu’ici au même âge il aura pu former sa personnalité individuelle en perpétrant lui-même ces 22 000 meurtres ou davantage aux manettes de ses jeux hyperréalistes à l’écran (laser, lance-flamme, fusil d’assaut, missiles, arme de poing, sabre à décapiter, etc.) sur des créatures humaines ou infra-humaines, ou interplanétaires.

(poète, philosophe et prophète des fins dernières)
Éditions Fario, 2015 [p. 61]
(248 p., 21 euros)



jeudi 19 novembre 2015

On ne s’y baigne mêmement jamais deux fois.

[...]
La besogne commença. Ses doigts engourdis par le froid l’empêchaient de manipuler convenablement sa gaffe. Peu de cadavres lui échappaient en général. Autant qu’il put en juger, ceux-ci avaient fait un long périple. Il n’y avait que les plaies par balles et armes blanches comme indice de ce qui se passait en amont, depuis dix ans. Ces constats lui étaient accessoires. Il y avait, pour lui, le froid, l’humidité et le bruit des gaz qui s’échappaient de façon obscène. C’était tout ce qu’il savait. C’était tout ce qu’il désirait savoir. Il en faisait son profit. Le premier qu’il repéra était un soldat, il n’y avait guère que cela. Il ne trouva pas grand-chose sur lui : une montre dont l’étanchéité avait été malmenée par un long séjour humide, très peu d’argent de toute façon sans valeur par ici. Il traîna le corps jusqu’à l’extrémité de son esquif. Au bout de cinq, il se dirigerait vers le ponton fait de vieilles traverses de chemin de fer goudronnées, qui plongeait en pente douce dans l’eau grise. Ce serait par là qu’il remonterait les corps disposés un à un au préalable sur un chariot postal composé de gros tubes soudés et dont la couleur rappelait le mobilier scolaire, dans le temps.
Lorsque le soir tomba, il avait repêché une vingtaine de corps et ce qu’il avait récupéré subviendrait à ses besoins pour quelques jours. D’autres cadavres passèrent que Jauffe négligea au profit de quelques pêcheurs occasionnels, beaucoup plus loin en aval. Il remisa l’une des cordes, près du bosquet, et enroula patiemment l’autre, toujours sur le banc de proue. Le tas de cadavres attendrait le fourgon qui passait habituellement de nuit. La prime de ramassage était modeste. Mais c’était tout de même de l’argent. Il recevait mensuellement le décompte des cadavres et la somme afférente. Le ciel était noir lorsqu’il repartit, sa sacoche pleine de babioles, précédé d’une lampe-torche.
Il n’y eut plus que le discret murmure du vent puis celui, plus présent, du fleuve. Il y avait encore ce froid qui s’apaisait quelque peu, maintenant qu’il n’était plus sur l’eau.
La vie continuait.

Yves Letort, « Une partie de pêche » (p. 80-81)
in Le Fleuve, nouvelles
(illustrations de Céline Brun-Picard)
Le Visage Vert, 2015
(126 p., 13 euros)


lundi 16 novembre 2015

à pAris...


B T L

vendredi 13 novembre 2015

mercredi 11 novembre 2015

173 / 234


Cette chaudasse de La Paz
Dont j’ignorais le blaze
Me traita de tous les noms
Lorsque je répondis « non »
A ses propositions de naze.

dimanche 8 novembre 2015

The Misfits


photo : Elliott Erwitt

mardi 3 novembre 2015

non-dit


Paul Valéry
Discours de réception à l’Académie française
Paris, 1927
Librairie Gallimard 
Editions de la Nouvelle Revue française
3, rue de Grenelle