dimanche 23 juin 2019

Rez-de-jardin


Il y a pour moi un autre sujet d’angoisse : la raie. La construction anatomique de ce poisson me serre le cœur : avoir ainsi la tête sur le dos ou sur le ventre, on ne sait pas, cela me fait mal. Ses ouïes, je les prends pour des yeux. Et ses yeux, elle les porte sous elle ! et elle a un nez ! et une bouche petite et cruelle. J’ai failli pleurer de douleur en déchiffrant cette épouvantable figure, et cette apparition s’est envolée vers la surface de l’eau, battant de ses nageoires comme si c’étaient des ailes, soudain devenue quelque oiseau marin, image reflétée de l’albatros aux grandes plumes. Non. Cela n’est pas possible, l’existence de la raie. Avoir les yeux ainsi placés, et voler dans l’eau, et ne rien faire. Non.

Queneau
Saint Glinglin (« Les poissons »)



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