dimanche 6 novembre 2022

C’est mon dada...

 
Mieux ! allons au bout, Monsieur, et osons le mot : les plus grands sages de tous les siècles, Salomon lui-même ne faisant pas ici exception, n’ont-ils pas eu leurs DADAS, leurs TURLUTAINES, leurs califourchons ? –––––––– Qui d’entre eux n’a eu son cheval-jupon préféré, son joujou favori, sa passion dominante, sa folie douce, sa naïve toquade : chevaux de course, collections de monnaies, de médailles, de jetons, de coquillages… ? Qui n’a caracolé sur un bâton, battu tambour ou soufflé dans une trompette ? Qui ne s’est entiché de quelque niaiserie, encoiffé de quelque puérile marotte, qui, à ses heures, n’a raclé du crincrin ou barbouillé la toile, –––––––– qui n’a entassé colifichets et babioles, collectionné chenilles et papillons, suivi son ver-coquin ? qui ne s’est jamais trouvé sous l’empire de quelque lubie rampante ou de quelque manie butinante et frivole ? –––––––– Aussi longtemps qu’un homme califourchonne paisiblement et discrètement son DADA ou sa TURLUTAINE adorée en suivant proprement le tracé de la grand-route et ne nous force, ni vous ni moi, à monter en croupe derrière lui, –––––––– en quoi diantre, Monsieur, je vous prie, est-ce que cela nous regarde ? 
 
Laurence Sterne, La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, volume I, chap. VII, traduction de l’anglais par Guy Jouvet, éditions Tristram  


Aucun commentaire: