Elle [Clarisse] sourit et, affectant pour la dame une parfaite indifférence, fut se placer à son tour devant la barre d’appui. L’infirmière lui retira son peignoir ; et, presque aussitôt, le docteur ayant crié : « Voilà ! » elle sentit à sa nuque l’écrasement du jet tiède ; il la remplit de douceur, l’enveloppa d’une caresse insinuante. Les forces de l’eau la pénétraient. Le docteur changea de lance, et les jets de plus en plus froids lui arrivèrent, pesants, drus, brusques. Elle subissait l’assaut d’une force, se ruant, s’étalant sur elle, se prolongeant par toutes les courbes du corps… Clarisse s’amusa de frémir. Elle oublia le docteur, la dame, sa crainte. Un être fluide la possédait jusqu’à lui valoir des sanglots, des énervements et des spasmes…
— N’est-ce pas, docteur ? mademoiselle Gabry est une nymphe de Houdon ?… C’est un bonheur de la regarder.
— Tournez-vous vers moi, mademoiselle !
Clarisse se tourna ; la possession devint plus réelle. En virant sur ses orteils elle s’offrit à la caresse brutale, aux baisers glacés des jets.
— Hein ! madame Stival, un Houdon. Entrez, mais gardez vos lunettes noires. Elle éblouit, cette jeune personne !
Sans percevoir même la voix dolente et traînarde de Mme Lyrisse, ni les petits rires de la femme du docteur, Clarisse continuait à prendre de la volupté. Elle ne savait plus rien. À ses yeux clos, une extase pourpre et or ne cessait pas de s’approfondir. Et, dans son corps, un grand frisson ondoya.
— C’est tout, pour une première fois.
— Vous avez été héroïque, mademoiselle.
Confuse, mais toute pleine de joie, elle sentit la mousse du peignoir s’appliquer à ses épaules et les mains vigoureuses d’une infirmière la frotter. Vite revêtue, elle quittait la maison des fous après bien des remerciements au docteur.
Paul Adam (1862-1920)
L’Année de Clarisse
préface de Valentine Coppin
Les Âmes d’Atala, 2021 (1897), 404 p.
Ophélie (1894-1895), Paul Steck
Petit Palais, Paris
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