« Là, en faisant saler l’eau de sa baignoire et
en y mêlant, suivant la formule du Codex, du sulfate de soude, de
l’hydrochlorate de magnésie et de chaux ; en tirant d’une boîte
soigneusement fermée par un pas de vis, une pelote de ficelle ou un tout petit
morceau de câble qu’on est allé exprès chercher dans l’une de ces grandes
corderies dont les vastes magasins et les sous-sols soufflent des odeurs de
marée et de port ; en aspirant ces parfums que doit conserver encore cette
ficelle ou ce bout de câble ; en consultant une exacte photographie du
casino et en lisant ardemment le guide Joanne décrivant les beautés de la plage
où l’on veut être ; en se laissant enfin bercer par les vagues que
soulève, dans la baignoire, le remous des bateaux-mouches rasant le ponton des
bains ; en écoutant enfin les plaintes du vent engouffré sous les arches
et le bruit sourd des omnibus roulant, à deux pas, au-dessus de vous, sur le
pont Royal, l’illusion de la mer est indéniable, impérieuse, sûre.
« Le tout est de savoir s’y prendre, de savoir
concentrer son esprit sur un seul point, de savoir s’abstraire suffisamment
pour amener l’hallucination et pouvoir substituer le rêve de la réalité à la
réalité même.
« Au reste, l’artifice paraissait à des Esseintes
la marque distinctive du génie de l’homme. »
J.-K. Huysmans
À rebours