Le douloureux Charles Baudelaire se complut un moment non sans férocité dans cet état ; accident sans doute par attachement à sa ténébreuse métisse, son idole noire qui avait le secret de lui assurer d’épuisants plaisirs. Jeanne Duval se prostitua à Dijon pour subvenir à leurs besoins communs. Elle n’y prenait aucune peine, il est vrai. Le champ de bataille était dans l’hôtel même où ils étaient descendus et avec la furie d’un sadisme cérébral, Baudelaire l’envoyait au sacrifice en l’adjurant de bien dire les raisons de cet impur holocauste et il prenait un curieux plaisir à obtenir les détails du marché et des échanges. M. Jacques Crépet en a rapporté de croustillants et désolants détails, celui par exemple d’un homme très digne qui, apprenant les mobiles de la prostituée, refuse la consommation en en abandonnant le profit ; Baudelaire n’accepta pas cette sorte d’aumône et poussa la complice à tenir l’engagement souscrit en acceptant les enjeux. Et quel piment de sacrilège quand elle eut pour client un prêtre ! Ce raffinement de péché ravissait l’horticulteur des fleurs maléfiques. Guillaume Apollinaire prit plaisir à le rapporter. Il faut convenir que le poète malade mettait quelque fanfaronnade dans son vice.
René-Louis Doyon, Eloge du maquereau, Serge Safran éditeur
édition établie et présentée par Eric Dussert, 2014 (1re éd. 1949)