De ce triptyque, « Le métier de poète » — défini « séances » — en constitue la séquence centrale, assez hilarante, relatant les déconvenues, les mini-humiliations, les incompréhensions, subies par le « poète », essentiellement en condition de récitant, de diseur, de lecteur, de performeur, d’invité, d’« intervenant extérieur », les échanges disons « polis » en relation avec l’« organisateur/rice » de telle ou telle institution à vocation artistique ou culturelle.
répondre pour la centième fois
qu’un micro moins qu’amplifier
sert à murmurer
[…]
quand son cabinet vous demande
téléphoniquement ce qu’il
faut mentionner sur le contrat
répondre : seulement poète [majuscule superflue]
entendre dire :
ce n’est pas possible.
« Volte-face », ou quand un bref historique de la notion de « vocaluscrit » est proposé — concept (et mot) qu’avance Beurard-Valdoye, lequel se demande avec raison pourquoi l’intervention d’Antonin Artaud le 13 janvier 1947 au Vieux-Colombier est restée dans la mémoire collective sous l’appellation de « Conférence ». Un moment qui sans doute ne ressembla en rien à une conférence mais s’apparenta davantage à un « happening » — mais le mot manquait : « tout indique qu’il s’agissait, dans le lexique contemporain, d’une performance poétique, et certainement la première d’ampleur en France ».
Le « vocaluscrit », s’il fallait le définir, serait le compte rendu suggestif (ou « photo mentale »), la restitution subjective, désinvolte, d’une séance, orale, d’un ou d’une poète invité(e) pour une manifestation in vivo, in situ.
Avec « Vif de voix sur l’émotif » (« archive sonore »), P. B.-V. (en position de spectateur, d’auditeur, de preneur de notes d’humeur folâtre, de croquiste sur le motif) en présente ici trente-sept « captures » (« le caractère nécessairement hétérogène et éclectique de l’ensemble ») : d’Oskar Pastior (Lyon, « L’écrit-parade », bibliothèque municipale, 18 mars 1992) à Claude Royet-Journoud (Lyon, « L’écrit-parade », bibliothèque municipale, 15 octobre 1997), de Valère Novarina (Lyon, « La station d’arts poétiques », ENSBA, 30 mars 2011), à Franck Venaille (Paris, librairie Tschann, 10 juin 2007) ou Hélène Cixous (Paris, amphithéâtre Richelieu, Université Paris-Sorbonne, 4 décembre 2006, « parfois le captage des mots devient difficile, la clameur d’étudiants lâchés d’un autre amphi, la dureté des bancs sur lesquels les corps remuent, un à un les auditeurs se retirent sur la pointe des pieds voués au dehors »)…
Tentatives toutefois dont la vraie mesure ne pourra être véritablement entendue (histoire de voix vive) que grâce au visionnage, sur le site de l’éditeur (« Quand le livre s’accompagne d’une création filmée autour de la lecture du texte », élucide in fine la collection « Poéfilm » — un dispositif ?), d’une dizaine de ces textes choisis et dits par Beurard-Valdoye : de David Antin (Paris, Double Change, Le Point éphémère, 3 mai 2008), « commençant son talk tandis qu’un grand miroir va chuter retenu de justesse dans l’assistance Qu’est-ce qui se passe ? », à Bernard Heidsieck (Paris, Grand Palais, 3 juin 2006) et Ghérasim Luca (Lyon, « L’écrit-parade », bibliothèque municipale, 3 octobre 1990), « doigts écartés de la main droite en lutrin jusqu’à la retraite l’évasion du blanc sans perspective main passée sur le crâne chauve / demeure de l’ouïe au fin fond de l’auditoire ».
— chuchotements, murmures, jeu de mains, accidents, de micro (combien ? pied ? bien réglé ? qu’on heurte), glissades vocales, silences éloquents y compris.
* * *
l’auteur ajoute : ON PEUT PEUT-ÊTRE ARRÊTER LÀ
(« Alain Frontier, Paris, Musée Zadkine, 28 octobre 2004 »).
* * *
— Merci, Patrick.
(main sur le cœur)
_______________
Le Vocaluscrit, Patrick Beurard-Valdoye
LansKine, collection « Poéfilm », 2017
104 p., 14 €