samedi 26 février 2022

Han Shan (3)

 

Cheveux en bataille et le rire aux dents, Han Shan, consultant un rouleau laissé en blanc, et son grand ami Shi-de (ou Shih-té), représenté au balai de paille, moine préposé aux cuisines d’un monastère, constituent un thème classique du bouddhisme zen et un motif traditionnel de l’iconographie nippone. 


[ Mendiant chaque jour sa nourriture selon la stricte règle monacale et pratiquant assidûment la méditation assise ou zazen, Ryōkan (1758-1831), de la période Edo, poète et calligraphe japonais, avait élu Han shan comme modèle. ]


Cette historiette qui m’enchante, tirée de sa légende, proche de l’esprit des kôan zen : suspension du sens… 


Shide balayait la cour du monastère lorsque le supérieur, qui passait par là, lui demanda brusquement :

— Quel est votre vrai nom ? Où vivez-vous ?

En réponse à cette question, Shide jeta son balai et croisa les bras sans rien dire.

Lorsque le supérieur lui posa à nouveau la question, Shide reprit son balai et recommença à balayer. 

Ayant assisté à cette scène, Han Shan se frappa la poitrine et prononça plusieurs fois : 

— Merveilleux ! Merveilleux !

Shide lui demanda : 

— Pourquoi dis-tu cela ?

Et Han Shan répondit :

— Lorsqu’un homme meurt dans la maison de l’Est, les voisins qui sont à l’Ouest montrent leur sympathie en poussant des gémissements 

Alors les deux amis éclatèrent de rire, dansèrent et crièrent *.

 


 

mercredi 23 février 2022

homme-sandwich


 Le plus sidérant dans la fresque de Goya qu’on intitule Saturne dévorant l’un de ses fils (circa 1821), l’une des « peintures noires » du Goya septuagénaire qui recouvra les murs de sa maison de Madrid — l’une aussi des œuvres les plus hallucinées de toute l’histoire de l’art, une scène de cannibalisme aux limites du supportable : un père dévorant son fils pour empêcher celui-ci de lui succéder —, outre les yeux hors de la tête (une exorbitation), est la manière dont le Titan Kronos, dieu du Temps, tient son fils — sanguinolent, déjà étêté et démembré — bien serré entre ses mains crispées pour le porter à sa bouche (un trou noir) afin de le déchiqueter, comme on le ferait d’un bon gros sandwich baguette.


jeudi 17 février 2022

Han Shan (2)

Si ma vie durant je me cache dans Montagne-Froide
Vivant de plantes, de baies : Quoi de mal à ça ?
Suis ton karma mon vieux jusqu’au bout
Jour, mois, filent comme ruisseaux
Temps, étincelles de deux silex frottés
Je regarde devant moi j’abandonne le monde à son agitation
Trop heureux croyez-moi d’être assis là
Parmi les falaises*.


On ne représente jamais autrement Han Shan qu’au plus près des nuages, on le dit « mangeur de brumes ».

Han Shan, que les bouddhistes zen et les taoïstes ont souhaité, chacun, annexer, introduire dans leur panthéon, ne fut pourtant d’aucun clan : il était seulement Hanshan.

De Han Shan, on dit qu’il était « fou de liberté », sage et sauvage — sa(uva)ge.

Han Shan ne se rasait pas les cheveux, ne mangeait aucune viande, s’adonnait à des exercices de respiration et connaissait les plantes médicinales.

Jack Kerouac (puis les beatniks, puis les hippies, puis les Beatles, qui l’évoquèrent dans la chanson « The Fool on the Hill ») rendit hommage au poète de Montagne-Froide. Les Clochards célestes (titre original : The Dharma Bums, 1958) sont dédicacés à Han Shan, où celui-ci est d’ailleurs longuement cité, et évoqué.


* trad. Martin Melkonian, d'après la traduction du chinois en anglais de Gary Snyder


jeudi 10 février 2022

3 x rien

 
 
Carton, 1985
 

 1970



2022
 

 6 Pieds sous terre, 2015


vendredi 4 février 2022

Han Shan (1)

 

Han Shan s’il exista naquit en Chine, au VIIe siècle, lors de la dynastie Tang (618-907).

Li Bai (ou Li Po), « le poète de l’ivresse », Du Fu (parfois Tou Fou), Han Shan : trois grands poètes de la dynastie Tang (VIIe-IXe s.), un peu moins de trois siècles dont les anthologies ont conservé quelque quarante-huit mille neuf cents poèmes de plus de deux mille auteurs.

Han Shan, vers sa trentième année, quitta une existence relativement confortable menée à la campagne, sa femme et un fils.

Han Shan, le poète chinois qui se retira sur un lieu nommé « Montagne-Froide », en prit le nom : Hanshan, comme l’on dirait Monfroid.

Han shan, Han-shan, Hanshan, Han Shan, Han-Shan, selon les transcriptions ; donc Han, pour « froid(e) », et Shan, pour « Mont(agne) ».

Hanshan, « le poète ermite » (comme il existe « le poète boxeur », « le poète sans œuvre »…), est qualifié systématiquement en français par ces deux adjectifs : « hilare et débraillé ». — « Excentrique » revient aussi souvent.

Hanshan laissa quelque trois cent vingt poèmes — ses « œuvres complètes » —, la plupart des huitains « rimés » (approximations), qu’il avait écrits sur des écorces d’arbre, des bambous, des rochers ou sur les murs de quelques bâtisses, que, selon la tradition, le préfet Lu-ch’iu Yin — porteur de l’insigne du Poisson dans un étui rouge, don de l’empereur —, ayant demandé à un moine de les recopier, collecta et introduisit par une préface.