Dionys Mascolo, qu’il faut de nouveau citer ici, parlera pour sa part, parlant de Heidegger justement, de la « bêtise de l’intelligence même ». Je le cite : « Force il y aurait donc bien, en un sens dont l’humour échappe au penseur, lequel, sinon, se serait avisé que traiter de l’intelligence en termes de puissance est la fortifier dès l’abord de bêtise. Ainsi s’expliquerait l’existence de ce phénomène remarquable et bien connu, auquel il n’est personne qui ne soit heurté à un moment ou à un autre, et qui est la bêtise de l’intelligence même. » Lignes qui visaient Heidegger donc ; qui ne visaient pas que lui, sans doute ; qui visaient Sartre aussi, mais pour d’autre raisons ; qui étaient cependant assez bien faites pour viser Blanchot lui-même, par un effet de retour inattendu ; pour les mêmes raisons que Mascolo disait que celui-ci, attaquant Heidegger, s’accusait du coup (je rappelle ses mots : « très certainement en pensant à lui-même »). Il n’y pas jusqu’aux plus grandes pensées à ne pas échapper à la bêtise. On peut même en faire l’hypothèse : toute grande pensée comporte sa propre part de bêtise inhérente, constitutive, et sans doute proportionnelle. L’erreur de Blanchot est possible, et est du même ordre que celle de Heidegger (à un degré cependant moindre de solennité et de puissance) ; sa bêtise l’est d’autant, qui en a revêtu l’éclat immédiat, mais s’est entouré de durée : c’est longtemps que Blanchot a été ce que Heidegger fut aussi au même moment (un temps long, sans aucun doute, mais dont tout le monde dispute de la longueur) ; et c’est aussi longtemps que l’un et l’autre le dissimulèrent (autant que chacun le put, Heidegger moins que Blanchot) ou ne le reconnurent pas (ou pas sans réticence ni atténuation).
Michel Surya
L’Autre Blanchot. L’Ecriture de jour, l’écriture de nuit.
Gallimard, coll. « Tel » (inédit), 2015
(p. 23-24)
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