— Pourquoi quatre-vingt-dix-neuf chapitres plutôt que quatre-vingt-dix-huit ou cent ?
La maison a dix pièces par étage. Il devrait donc y avoir cent chapitres. Mais, regardez quand un enfant mord dans un petit beurre ; il commence toujours par croquer l’un des quatre coins. Là, une petite souris a mangé une des pièces. Cela m’a servi à détruire les symétries, à dissimuler les structures. Chaque fois qu’on veut appliquer rigidement un système, il y a quelque chose qui coince. Pour qu’on puisse fonctionner dedans avec liberté, il faut introduire volontairement une petite erreur. On connaît la phrase de Klee : « Le génie, c’est l’erreur dans le système. »
C’est cette intervention que les Oulipiens, et avant eux Jarry, appellent le clinamen. La petite erreur, qui nous vient de Lucrèce, et sans laquelle aucun atome n’accrocherait les autres, sans laquelle donc le monde n’existerait pas.
La pièce disparue entraîne donc une cassure au chapitre 66, aux deux tiers du livre. Chapitre qui, de plus, raconte des histoires de diables, le chiffre 66 étant aussi un chiffre démoniaque. On y trouve la petite fille peinte sur le couvercle d’une boîte de biscuits, en train de mordre le coin du petit beurre, et, du coup, de croquer le chapitre.
« La maison des romans » (p. 32-35), entretien entre Jean-Jacques Brochier et Georges Perec à propos de la parution de la Vie mode d’emploi, in Magazine littéraire, n° 141, « Nietzsche », oct. 1978.
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