mercredi 10 septembre 2025

Sans titre

 

— Écoute, on va pas pouvoir continuer comme ça. Tu te moques de l’argent, et c’est tout à ton honneur ; mais moi, non, et il va falloir que les choses changent.

— Je sais, je sais.

— … Bon ! Il s’appelle comment, ton dernier ?

Sans titre.

— Et avec ?

— Non, il s’appelle Sans titre.

— Quoi ? Tu n’es même pas capable de lui trouver un titre ?

— Non. Sans titre : c’est comme ça qu’il s’appelle.

— Comment c’est possible, Sans titre ?

— C’est comme ça. Comme je te le dis.

— C’est complètement crétin, comme titre. Tu vois, tu pourrais être beaucoup plus heureux sans ces fichus romans. Ça pourrait même t’aider pour le reste. Te soulager.


Martin Amis

L’Information (1997)

(roman traduit de l’anglais par Frédéric Maurin)

[The Information, 1995]




mercredi 3 septembre 2025

« Je ne sais pas »

 Je vais deux, trois fois par semaine à la Grande Bibliothèque, dans les librairies d’occasion – j’en suis gêné parfois : je dois être aux yeux de quelques libraires le fou braque, le piqué des livres. Plus ou moins quatre cents livres par année entrent dans ma bibliothèque. Les livres sont mes alcools. Je lis parce que je ne sais pas ce qui m’arrive : je ne me connais pas et je ne connais pas le monde dans lequel je vis. La plupart pensent se connaître, connaître le monde dans lequel ils vivent – se contentent-ils de l’identité fournie par les institutions sociales : qui sont-ils en dehors de leurs cartes, certificats, comptes, diplômes. Chaque fois que dans un livre les mots je ne sais pas apparaissent, je les souligne. J’aime cette petite phrase : elle laisse tout ouvert. Des individus parlent beaucoup sans s’arrêter à ce qu’ils disent : ils répètent ce qu’ils ont entendu, lu, contents de montrer qu’ils sont dans le coup. Ils pensent comme presque tous, presque parce qu’il y en a quelques-uns pour qui la parole ne coule pas, qui hésitent, disent je ne sais pas, cherchent des phrases qui vont dire le plus justement ce qu’il ressentent, prennent le temps de penser ce qu’ils n’ont pas encore pensé.


In


Québec, 2011

(72 p.)


mercredi 20 août 2025

livres : alcools

 Il en est d’aucuns qui, faisant profession d’être plus amateurs de Vins rares que de Livres, encore qu’ils ne soient tout à fait ignorants & démunis de ceux-ci, pour faire montre de mépris envers ceux qui sont plus qu’eux hommes d’étude, gardent des flacons pleins derrière de certains rayons, & les invitent parfois à voir leur Librairie : feignant d’en tirer quelque Livre des plus rares, ils en tirent des flacons & des bouteilles de liqueurs précieuses ; mais un de ceux-ci paya naguère l’amende de sa facétie & de sa moquerie, car ce faisant il en renversa un & macula laidement une rangée entière d’excellents Livres disposée sous celle des flacons, y faisant des taches indélébiles : ainsi, comme dit le proverbe, la couleuvre a pris le charlatan*.

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* La biscia beccò il ciarlatano : jolie façon de dire « tel est pris qui croyait prendre ». Quant à savoir quelle est la base de cette expression, c’est une autre affaire.


in


 2007 (200 exemplaires numérotés)

É.O. : Del furore d’aver libri. Varie Avvertenze Utili, e necessarie agli Amatori de’ buoni Libri,

disposte per via d’Alfabeto,1756

[entrée : Vin]

mercredi 13 août 2025

entre deux


Wayne Miller 

mercredi 6 août 2025

livres : espace/temps

 Rapidement, je fus cerné de toutes parts par les livres. « Une masse problématique », dirait un médecin. Dans un premier temps, les rayonnages furent complétés par des constructions faites maison ; puis, dans la mesure où le flot ne tarissait pas, il fallut bien lui laisser place aux dépens d’autres meubles. La penderie fut ainsi déplacée dans le vestibule, suivie de près par deux meubles de bibliothèques qui vinrent dès lors l’encadrer. Après notre mariage, et lorsque nous fûmes installés dans un appartement plus adapté à une vie à deux, il me fallut promettre à mon épouse que les livres ne sortiraient pas de mon bureau. En conséquence, je fus bientôt obligé de les disposer en doubles rangées — une solution qui me chagrinait terriblement. Dès lors, je partis sur les marchés aux puces en quête de meubles — avant tout de petits buffets — susceptibles de faire office de chevaux de Troie, susceptibles de m’aider à faire entrer mes livres en contrebande dans le couloir principal et le salon. Parfois, j’y parvenais ; parfois pas.

in


traduit de l'allemand par Frédéric Joly
2019
176 p. (p. 136)


jeudi 24 juillet 2025

livres : généralités

 Nous dissertâmes tout au long du repas sur le bonheur et la malédiction pesant sur notre sort : les livres sont coûteux à l’achat, ne valent rien à la revente, sont hors de prix lorsqu’il faut les retrouver une fois épuisés, sont lourds à porter, prennent la poussière, craignent l’humidité et les souris, sont à partir d’une certaine quantité quasi impossibles à déménager, nécessite un classement précis pour pouvoir être utilisés et, surtout, dévorent l’espace. (Il m’est arrivé d’avoir une salle de bains aux murs tapissés de rayonnages, ce qui interdisait l’usage de la douche et obligeait à prendre son bain la fenêtre ouverte à cause de la condensation ; et aussi, dans ma cuisine, ce qui prohibait un certain nombre d’aliments à l’odeur particulièrement prégnante. Comme nombre de mes confrères, j’ai mis longtemps avant d’avoir les moyens immobiliers de mes ambitions bibliophages !)

in 


2008
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(144 p. [p. 16])


dimanche 13 juillet 2025

nature morte

                        des arbres abattus


décapités,

étêtés, élagués

émondés, débités, foudroyés


taillés fin


des chênes chenus, chus

(hachés menu)

des trembles tremblent

de frêles frênes

des pins dépenaillés

des tilleuls mentent

des merisiers meurent

des hêtres désertent

(des saules pleurèrent…)

des platanes déplantés

des bananiers se bananant

des baobabs à bas

des cèdres décérébrés

des cyprès décimés

des vignes dédaignées

des érables éraflés

des noisetiers émasculés

des lianes éloignées

de marronnasses marronniers

des acacias à casser

(des ormes désormais)

de noyés noyers

des palmiers déplumés

des séquoias sectionnés

des peupliers dépeuplés

de châtains châtaigniers 

des trous de ver(t)

des oliviers no life


des troncs tronçonnés

des sapins qui le sentent

des ifs dépressifs

des pommiers paumés 

des charmes sans aucun

des fleurs fanées

des feuilles mortes

(qui manquent à l’appel)

des mousses rousses

des branches débranchées

des billes débitées


assez d’herbacées ! 


la flore déflorée 

les forêts forées

les haies haïes 

les bosquets débusqués

les touffes étouffées

les racines déracinées


les champignons atomisés


les ginkgo-biloba


bé-bé-bi-bo-ba-bu


Boum !

dimanche 6 juillet 2025

bicorne


 Gian Paolo Barbieri
(Madagascar, 1994)

mardi 1 juillet 2025

« Qu’est-ce que la vérité ? »



in


192 p. , 1969

(couverture à rabats, perforations SP)

samedi 28 juin 2025

Cummings x 3

 

3 anthologies bilingues (2022, 2023, 2025)


traduites et présentées par Jacques Demarcq

enrichies de dessins de e. e. cummings

jeudi 19 juin 2025

au contraire

 

Comme le suggère La Plâtrière, « la réalité est, en réalité, toujours différente ; l’opposé, toujours — elle est la réalité, en réalité, vraiment ». L’écriture de Bernhard est un exercice critique qui a pour objet notre existence et le langage de notre existence. En mettant au jour le renversement permanent de tous les aspects, de tous les concepts, de toutes les attitudes humaines en leur contraire, en une variété infinie de contraires, elle trace elle-même son propre destin : mettre à nu l’impossibilité de communiquer et de se parler, la vanité des efforts que nous consacrons à nous faire comprendre. Tout est toujours divers et l’on ne peut se faire comprendre. « Il en va tout autrement. Il en va toujours tout autrement. Se faire comprendre est impossible » (Perturbation).


in



traduit de l’italien par Jean-Pierre Cometti

L’éclat / éclats, avril 2025 [1990], 92 p.

[p. 19]

samedi 31 mai 2025

samedi 24 mai 2025

— sauvé des eaux —

 quatrième



ACHEVÉ D’IMPRIMER

LE 12 NOVEMBRE 1921

PAR F. PAILLART A 

ABBEVILLE (SOMME)




recueil de quatre nouvelles : « Le planteur de Malata », « L’associé », « L’Auberge des deux  Sorcières », « À cause des dollars », précédées d’une « Note du traducteur » (p. 8) et d’une « Note de l’auteur » (p. 9 à 12) ; 176 p.


*


notre exemplaire : signé en manière d’ex-libris, au porte-plume, en haut des pages 4 et 6 : L. Delaruelle, oct. 24.



mercredi 21 mai 2025

S’il scie l’île...

 
 
• circa 1974 (> J’ai [±] 14 ans...)

encre de Chine, porte-plume

vendredi 16 mai 2025

lundi 28 avril 2025

B v V — II

 



Pour la première fois dans l’histoire de la peinture, un peintre, par un sacrifice de soi sans pareil (qu’on comprenne bien : au physique comme au moral Bram van Velde a saboté toutes ses chances de bien-être), nous a entraînés à ce terrain-limite. Nous sommes aux Colonnes d’Hercule, en deçà mais en face de l’inconnu.

Georges Duthuit


Ni figuratif ni non figuratif, on le dirait plutôt défigurateur. Une atmosphère de meurtre rituel domine sa peinture. Partout le flamboiement de regards blancs : l’œil d’Abel poursuivant Caïn. Bram van Velde s’enfonce dans le tableau pour fuir ce regard, mais il ne cesse de l’y rencontrer. Ses tableaux : les labyrinthes de la culpabilité.

Pierre Schneider


Cellules et alvéoles, méandres et ruches, deltas et circulations rapides, aurores boréales et chairs livides, marines lumineuses et terres automnales, cercles comme des yeux, yeux comme des seins, fruits fantastiques, champs labourés, coupes cellulaires, stratifications laminées, pulpes et intestins, zones occupées sans nécessité apparente, zones floues et inachevées, masques isolés les uns des autres, résidus de natures mortes, un seul personnage submergé dans l’espace, ou deux personnages séparés par d’indéchiffrables formes molles, grandes bêtes colossales désintégrées dans leur excessive complexité, lacs, échos, accouplements organiques…

Antonio Saura


*


Bram van Velde, Petites Peintures sur papier

Rainer Michael Mason, « Voix, regards sur Bram van Velde, de Geneviève Asse et Samuel Beckett à Antonio Saura et Jean Starobinski »

Les Cahiers dessinés / Arles MMXXV, Festival du dessin

mars 2025, 84 p. [p. 47, 48 et 50]