mercredi 3 septembre 2025

« Je ne sais pas »

 Je vais deux, trois fois par semaine à la Grande Bibliothèque, dans les librairies d’occasion – j’en suis gêné parfois : je dois être aux yeux de quelques libraires le fou braque, le piqué des livres. Plus ou moins quatre cents livres par année entrent dans ma bibliothèque. Les livres sont mes alcools. Je lis parce que je ne sais pas ce qui m’arrive : je ne me connais pas et je ne connais pas le monde dans lequel je vis. La plupart pensent se connaître, connaître le monde dans lequel ils vivent – se contentent-ils de l’identité fournie par les institutions sociales : qui sont-ils en dehors de leurs cartes, certificats, comptes, diplômes. Chaque fois que dans un livre les mots je ne sais pas apparaissent, je les souligne. J’aime cette petite phrase : elle laisse tout ouvert. Des individus parlent beaucoup sans s’arrêter à ce qu’ils disent : ils répètent ce qu’ils ont entendu, lu, contents de montrer qu’ils sont dans le coup. Ils pensent comme presque tous, presque parce qu’il y en a quelques-uns pour qui la parole ne coule pas, qui hésitent, disent je ne sais pas, cherchent des phrases qui vont dire le plus justement ce qu’il ressentent, prennent le temps de penser ce qu’ils n’ont pas encore pensé.


In


Québec, 2011

(72 p.)